Refuge d’un point de vue bouddhiste signifie « protection ».

 

Prendre refuge, c’est se placer sous une protection. Mais pour se protéger de quoi ? De la souffrance.

Il est clair que tous les êtres désirent le bonheur, pourtant ils ne l’obtiennent pas. Tous désirent éviter la souffrance, ils la rencontrent pourtant. Le contrôle de la situation nous échappe. Nous cherchons donc des remèdes.

On pense communément que l’effort des humains, le développement des sciences et des techniques, le progrès matériel, permettront d’échapper à la souffrance, ou du moins contribueront à la diminuer de manière significative. Ce n’est que très partiellement vrai. Les modifications apportées au monde extérieur peuvent conduire à des solutions superficielles et ponctuelles au problème de la souffrance, mais elles ne peuvent le résoudre ni profondément ni à long terme, car elles ne s’attaquent pas aux causes. Or, tant que la cause n’est pas supprimée, on ne peut espérer la disparition durable des effets. Même si la souffrance paraît s’effacer momentanément, elle reviendra nécessairement. Le bonheur ne peut être, dans ces conditions, que passager ; la porte reste ouverte à de nouvelles souffrances.

En vérité, tant que nous ne nous tournons pas vers l’esprit, tant que nous restons fixés sur les apparences extérieures et que tous nos efforts sont orientés vers leur réorganisation, la perspective d’un bonheur authentique et durable reste bouchée. Aucun des moyens ordinaires que nous employons ne permettra jamais d’éviter définitivement la souffrance.

La voie bouddhiste, ce qu’on appelle le Dharma, se situe sur un autre plan : elle envisage la question moins dans le domaine de ses développements extérieurs que dans celui, intérieur, de l’esprit, celui‑là même qui fait l’expérience de la souffrance, là où se situe la cause. Elle regarde vers la source.

Dans sa nature originelle, notre esprit est pur, libre et heureux. Mais nous ne connaissons pas cette nature originelle. Nous lui sommes depuis toujours étrangers en raison du mode de fonctionnement défectueux de notre esprit, notamment par le jeu des émotions perturbatrices, à savoir les différentes nuances de notre relation (déséquilibrée) au monde et à nous‑mêmes : le désir, l’attachement, l’orgueil, l’aversion, la haine, la jalousie, l’aveuglement, etc.

Ces émotions conflictuelles sont des conditionnements imprimés dans notre esprit depuis des temps sans commencement, sur lesquels nous n’avons nous‑mêmes pratiquement pas de contrôle. Elles sont la racine de nos souffrances, de nos frustrations et de nos angoisses ; elles nous conduisent à agir de manière à engendrer notre propre souffrance, par le biais du karma.

Nous ne sommes donc pas libres de notre destin, nous sommes impuissants à nous préserver de la souffrance et de l’illusion. C’est pourquoi nous nous en remettons à cette réalité transcendante que sont les Trois Joyaux : le Bouddha, le Dharma (son enseignement) et le Sangha (la communauté).

Prendre refuge, s’engager sur la voie du Dharma, c’est ainsi se placer sous une double protection :

– temporaire : par la puissance des Trois Joyaux, nous sommes protégés des souffrances dont nous avons semé la graine dans le passé et que nous rencontrons maintenant au cours de notre vie ;

– définitive : nous apprenons à comprendre en quoi les émotions perturbatrices nous sont nuisibles, puis à nous en dégager et à recouvrer notre pureté originelle, le bonheur authentique et indépendant des circonstances qui est notre apanage.

En quoi les Trois Joyaux ont‑ils cette capacité de nous protéger que nous n’avons pas nous‑mêmes ?

Le Bouddha est libéré des émotions perturbatrices et du karma, il possède l’omniscience de l’Éveil. Toute défectuosité s’est effacée en lui, en lui toutes les qualités de la pureté de l’esprit se sont épanouies. Il nous est ainsi infiniment supérieur et c’est pourquoi nous le prenons comme refuge.

Le Bouddha montre le chemin qui mène à la fin de la souffrance ; on l’appelle donc « le guide ». Sa manière de nous guider est de nous enseigner le Dharma, par la pratique duquel nous progressons vers la libération. Ce Dharma comprend lui­ même une très grande variété d’aspects qui correspondent à la diversité des capacités, des tempéraments et des aspirations des êtres.

Enfin, le Sangha, ceux qui suivent les enseignements du Dharma et les transmettent aux autres, nous aide dans notre progression.

C’est ainsi que Bouddha, Dharma et Sangha sont nos trois refuges.

C’est par ces Trois Joyaux qu’on s’engage tout d’abord sur le chemin, c’est ensuite par eux qu’on le parcourt, c’est enfin en eux que s’accomplit le but. Lorsqu’en effet on atteint l’éveil, c’est ce que l’on appelle obtenir l’état de Bouddha, et cet état de Bouddha, qui est la nature ultime de notre esprit, inclut en lui‑même le Dharma et le Sangha. D’un point de vue relatif, les Trois Joyaux apparaissent comme des réalités séparées bien qu’en vérité ils se résument ultimement dans le seul Bouddha.

Pour celui qui souhaite se défaire de la souffrance du cycle des existences, il n’est pas de moyen plus profond et meilleur que la prise de refuge.

CEUX EN QUI NOUS PRENONS REFUGE

Quelle que soit l’école du bouddhisme à laquelle on se rattache, on prend refuge tout d’abord en les Trois Joyaux, le Bouddha, le Dharma et le Sangha, qu’on nomme aussi les « Trois rares et sublimes ».

Le Bouddha

Peut‑être avons‑nous l’habitude de penser au Bouddha simplement en tant qu’être humain semblable à nous‑mêmes, ayant vécu six siècles avant notre ère. Ce n’est pas faux, mais il est aussi beaucoup plus que cela. Lorsqu’on veut envisager la totalité de ce qu’il est, on considère trois aspects, trois modalités de son être, qu’on appelle les trois corps :

Le corps absolu (dharmakaya) : c’est l’essence ultime de l’esprit du Bouddha, et de notre propre esprit. Il échappe à toutes caractéristiques. Il est sans forme, sans commencement, sans fin, ne demeure nulle part. Il ne peut être désigné par aucun mot, conçu par aucune pensée. Ce n’est pourtant pas une simple absence de quelque chose, car de lui s’élèvent toutes les apparences.

Le corps de gloire (samboghakaya) : c’est la manifestation du Bouddha sous une forme lumineuse, dans les « champs purs ».

Le corps d’émanation (nirmanakaya) : c’est la manifestation du Bouddha sous une forme ordinaire. Le Bouddha en tant qu’être humain se réfère à ce corps d’émanation.

Bien que les qualités du Bouddha soient infinies, on en considère trois comme principales : la connaissance, l’amour, le pouvoir.

Sa connaissance elle‑même est double : connaissance de la nature ultime de tous les phénomènes et connaissance de leur multiplicité dans le domaine de la manifestation relative. Nous‑mêmes, de ces deux points de vue, sommes dans l’ignorance. Loin de connaître le mode d’être des phénomènes, loin de comprendre ce que signifie la vacuité, nous nous assimilons à un « moi », un « ego ». Nous ne percevons pas que nous sommes, en réalité, libres des limites de l’individualité égocentrée. Notre expérience se borne à cette fixation sur la notion de « moi », de « moi j’existe ». En revanche, un Bouddha non seulement possède la réalisation que le moi n’a pas d’existence par nature, mais il perçoit aussi l’absence de réalité propre de tous les phénomènes. De même n’avons-nous, dans le temps et dans l’espace, qu’une connaissance très limitée des phénomènes. Nous ne connaissons pas nos vies passées, ni ce que sera l’enchaînement de nos vies futures, alors qu’un Bouddha connaît toutes les vies passées des êtres, les actes qu’ils y ont accomplis, le karma qui en résultera et les renaissances qu’ils prendront. Il connaît aussi la situation présente de tous les êtres, sans confusion, précisément. Supposons, pour prendre un exemple, que les facultés de connaissance d’un Bouddha soient semblables à la totalité de l’espace. Dans ce cas, celles des bodhisattvas seraient comparables au volume qu’occupe une pièce d’une maison, celles des êtres ayant certaines réalisations, comme les arhats, semblables au contenu d’un verre, tandis que celles des personnes ordinaires les plus intelligentes, les plus savantes et les plus cultivées n’occuperaient pas plus que le chas d’une aiguille.

Si le Bouddha ne possédait que la connaissance, ce serait pour nous sans utilité. Mais son esprit est aussi amour. Il est dit qu’il a pour chaque être en particulier le même amour qu’une mère pour son fils unique. Les humains ordinaires ne peuvent avoir qu’un amour limité à un petit nombre de personnes. Encore ne sera-t-il pas égal pour tous et des préférences seront-elles marquées. L’amour du Bouddha, quant à lui, est équanime et s’applique à l’infinité des êtres qui peuplent un espace infini. Pour chacun, il est comme un ami, même si cet ami est souvent méconnu.

Connaissance et amour, malgré leur grandeur, seraient encore insuffisants si le Bouddha ne possédait aussi le pouvoir de nous aider. Ce pouvoir se manifeste en particulier par l’enseignement du chemin de la libération qu’il nous donne. Par là, il fait que sont dissipées les souffrances présentes et supprimées les causes des souffrances à venir. Par la pratique du Dharma, qui est la manifestation du pouvoir du Bouddha, nous avançons sur le chemin du bonheur, jusqu’à l’éveil.

Le Dharma

Le Dharma est la voie enseignée par le Bouddha. On distingue deux aspects :

– le Dharma scripturaire : les enseignements du Bouddha qui ont été consignés par écrit, ainsi que les commentaires rédigés par les maîtres indiens ou tibétains ;

– le Dharma de la réalisation : les réalisations effectivement advenues dans l’esprit des grands êtres ou des êtres ordinaires grâce à la pratique enseignée.

 

Le Sangha

Tous ceux qui suivent l’enseignement du Bouddha constituent le Sangha, c’est-à-dire la communauté. On distingue néanmoins deux degrés :

– le Sangha supérieur, constitué des êtres ayant obtenu différents niveaux de hautes réalisations, que ce soit les bodhisattavas, les shravakas ou les pratyékas-bouddhas ;

– le Sangha ordinaire, celui de tous les pratiquants.

C’est avant tout en le Sangha supérieur que l’on prend refuge.

Les Trois Racines

Dans le Vajrayana, la branche du bouddhisme la plus répandue au Tibet, on ajoute aux Trois Joyaux trois autres lieux de refuge, les « Trois Racines » :

– les lamas, racine de la grâce,

– les yidams (divinités de méditation), racine des accomplissements,

– les protecteurs, racine de l’activité.

Dans le cadre du Vajrayana, on considère en effet que pour réaliser la nature ultime de l’esprit, il est nécessaire de suivre un lama, un maître spirituel qui montre le chemin, confère des initiations, donne des instructions et dont on reçoit la grâce, la puissance spirituelle. Après quoi, on pratique les différentes méditations en rapport avec les yidams, qui permettent d’obtenir l’accomplissement sublime (la réalisation de la nature ultime de l’esprit) et les accomplissements ordinaires (la longue vie, le mérite, les différents pouvoirs). Enfin, étant donné que la pratique du dharma se heurte à de nombreux obstacles, on s’en remet aux divinités appelées les protecteurs pour les écarter et d’établir les circonstances favorables.

LA CÉRÉMONIE

La prise de refuge s’accomplit au cours d’une cérémonie simple et brève. On pense parfois qu’avoir foi dans les Trois Joyaux est suffisant et l’on ne comprend pas toujours l’utilité d’une cérémonie. Le rituel répond pourtant à plusieurs nécessités.

En premier lieu, grâce aux explications que fournit le lama qui donne refuge, on comprend clairement ce que sont les Trois Joyaux et la fonction de la prise de refuge.

En second lieu, la cérémonie implique une participation active de tous les aspects de notre personnalité : notre corps, notre parole et notre esprit. Cette participation donne une grande force, un grand élan, un caractère de sérieux et de profondeur à notre engagement spirituel. Etant donné que dans le domaine relatif toutes les apparences sont le jeu de leur interconnexion, il existe nécessairement un lien entre ce qui est accompli formellement et le sens profond de ce qui est accompli.

Enfin, le rituel permet le passage d’une grâce, d’un courant de force spirituelle qui pénètre notre esprit.

C’est pourquoi la cérémonie est nécessaire.

Son déroulement est très sobre. Celui qui prend refuge marque son engagement en répétant trois fois la formule de refuge, puis le lama lui coupe une mèche de cheveux, lui donne un nom du dharma et lui remet un cordon de protection.

La mèche de cheveux coupée est le signe de notre consécration au Dharma. Elle symbolise le fait que nous renonçons à notre état d’être ordinaire et que nous avons franchi la porte de la voie du Bouddha.

Le cordon de protection représente la grâce du Bouddha qui nous accompagne désormais.

Le nom nous identifie comme étant entrés sur le chemin de la libération. Il se réfère toujours à une ou plusieurs qualités de l’éveil. Souvent, il n’est pas possible de déceler un rapport immédiat entre ce nom et notre personnalité actuelle. Parfois cependant, ce rapport apparaît clairement, soit que le lama qui donne refuge possède un pouvoir de clairvoyance particulier, soit par le simple biais de notre connexion karmique avec ce nom.

Précisons ici quelques points sur cette cérémonie.

En premier lieu, on hésite quelquefois à faire prendre refuge aux petits enfants, car on considère qu’ils ne sont pas conscients de ce qui se passe. Il est vrai que le petit enfant n’a pas la pensée « je voudrais prendre refuge », ou bien « j’ai pris refuge ». Cependant, le seul fait d’entendre le nom du Bouddha et la seule puissance de la cérémonie placent dans son esprit une empreinte très bénéfique. Même si ce n’est pas sur le moment une prise de refuge parfaite, ce n’est jamais totalement inutile.

En second lieu, on rencontre dans le Vajrayana la notion de lama-racine et l’on se demande si cela se réfère au lama qui nous a donné refuge. Ce sont en fait deux choses différentes. Lama-racine est un terme par lequel on désigne un maître dont on reçoit des initiations et qui nous guide sur le chemin de la reconnaissance du mode d’être de notre esprit au travers d’une relation privilégiée. La prise de refuge n’implique donc pas que celui qui accomplit la cérémonie doive nécessairement être ensuite regardé comme notre lama-racine.

LES PRÉCEPTES

Prendre refuge c’est déjà s’engager sur le chemin de la libération. On s’efforce donc de respecter un certain nombre de préceptes qui vont nous aider à progresser. Ils sont répartis en trois groupes :

Les trois choses à éviter :

Ayant pris refuge en le Bouddha, on ne cherche plus la protection des divinités de ce monde, à savoir les esprits des eaux, des montagnes, de la terre, etc. Ce premier précepte n’a évidemment plus beaucoup de raison d’être dans le monde moderne où l’on ne croit guère à ces esprits.

Ayant pris refuge en le Dharma, on évite toute activité nuisible pour les êtres.

Ayant pris refuge en la Sangha, on évite la fréquentation des « mauvais amis », ceux qui critiquent vivement le Dharma ou dont la conduite est très négative. Leur compagnie nous ferait tomber sous leur influence, risquerait de faire vaciller notre confiance en le Dharma et de nous entraîner à commettre des actes négatifs.

Les trois choses à adopter

Ayant pris refuge en le Bouddha, on accorde respect à ce qui le représente : peintures, statues, photos.

Ayant pris refuge en le Dharma, on accorde respect aux textes sacrés.

Ayant pris refuge en la Sangha, on accorde respect à ses membres, tous ceux qui sont entrés sur la voie du Bouddha, tous ceux qui sont les détenteurs des enseignements.

Les trois préceptes généraux :

On s’efforce :

– de réciter chaque jour la prière du refuge, avec confiance et sincérité,

– de faire offrande de choses belles aux Trois Joyaux,

– de penser qu’on n’abandonnera jamais les Trois Joyaux.

Ces préceptes sont très simples et peuvent paraître simplistes. Pourtant, ils sont profonds et si nous les faisons nôtres nous verrons combien ils sont bénéfiques.

Par ailleurs, il est clair que prendre refuge ne signifie aucunement rejeter les autres religions, ni même les considérer comme inférieures. L’activité de l’éveil pour le bien des êtres est extrêmement vaste et utilise de nombreux moyens pour les aider autant sur le plan temporel que sur le plan ultime. C’est pourquoi elle se manifeste au travers de nombreuses traditions, qui toutes méritent notre respect.

CONCLUSION

Si la prise de refuge revêt une si grande importance c’est qu’on ne peut trouver en ce monde de protection contre la souffrance plus efficace que les Trois Joyaux, non seulement sur le plan de la libération mais aussi sur celui de nos difficultés et de nos angoisses quotidiennes. Il est dit que celui qui prend refuge ne renaîtra plus dans les mondes inférieurs, qu’il ne s’engagera plus sur de fausses voies spirituelles, qu’il sera finalement libéré de l’ego, racine de toute souffrance.