Réaliser l’état naturel de l’esprit

La méditation accomplie pour réaliser la véritable nature de l’esprit se nomme lhaktong : « lhak » signifie non ordinaire ou extraordinaire et « tong » signifie la connaissance ou la conscience. Lhaktong serait donc la conscience extraordinaire ou la conscience non ordinaire de ce qu’est véritablement l’esprit. Nous traduisons généralement ce terme par vision profonde ou vision pénétrante. Deux causes induisent la maîtrise de lhaktong : une cause indirecte et une cause directe. La cause indirecte consiste en l’accumulation de mérite, et la cause directe naît de la maîtrise de la méditation de chiné ou pacification de l’esprit. L’accumulation de mérite recouvre un vaste champ d’activités bénéfiques et positives parmi lesquelles figure la générosité sous ses différentes formes. La pratique supérieure de la générosité est l’offrande du mandala, l’offrande de l’univers.

L’autre condition indispensable pour réaliser l’état naturel de l’esprit est le développement de l’esprit d’éveil dans ses deux aspects, l’esprit d’éveil d’aspiration et l’esprit d’éveil d’application, car c’est cela qui va nous permettre de réaliser le plein et parfait Éveil. L’Éveil se décline en trois corps ou trois kayas : le dharmakaya ou corps de sagesse, le Sambogakaya ou corps de jouissance et le nirmanakaya ou corps d’émanation. Les deux corps formels Sambogakaya et nirmanakaya sont le fruit de l’accumulation de mérite et du développement de l’esprit d’éveil. Le dharmakaya est le fruit de l’accumulation de sagesse résultant de la pratique de lhaktong laquelle repose sur la pratique de pacification de l’esprit qui, seule, permet de stabiliser et de maintenir les expériences qui s’élèvent de la pratique de lhaktong.
Les expériences sont parfois comme la flamme d’une lampe à beurre exposée au vent. En effet, l’esprit ordinaire est constamment agité par les émotions perturbatrices car il éprouve beaucoup d’attirance et d’attachement pour toutes les situations mondaines.

Or, tant que l’esprit est dépendant de ces perceptions extérieures, la pratique de lhaktong est extrêmement difficile. Le but de la pacification de l’esprit est de stabiliser cet esprit, de dissiper les émotions et les influences négatives. Dans le Bodhicharyavattara, « La marche vers l’Éveil » de Shantideva, il est mentionné que la méditation de lhaktong résulte de la pratique de chiné. La pratique de lhaktong est synonyme de détachement, de liberté face à toutes les fascinations et les attachements de l’esprit. Sans la pacification de l’esprit, l’esprit ordinaire demeure prisonnier des émotions perturbatrices. Il est donc essentiel de se concentrer sur la pratique de chiné et de la pratiquer jusqu’à en avoir une profonde expérience.

Générer une véritable stabilité de l’esprit

Si nous souhaitons atteindre une véritable stabilité, il est nécessaire de consacrer intensivement notre temps à la méditation. Aujourd’hui, pour de nombreuses raisons, il est difficile de réunir les circonstances qui favorisent un tel investissement, que nous soyons moine, moniale ou laïc. Les pratiquants laïcs assument d’importantes responsabilités et consacrent beaucoup de temps et d’énergie à leur famille. Moines et moniales sont également impliqués dans les nombreuses activités d’un monastère ou d’un centre du dharma. Cela laisse peu de temps pour la méditation. De plus, dès l’instant où la distraction interfère, il est difficile de contrôler l’esprit car celle-ci entrave la pratique de la méditation. Nous ne pourrons réaliser aucun fruit stable dans la pratique si différents attachements nous empêchent d’être présents. C’est pourquoi la réflexion sur les quatre pensées fondamentales tient une place essentielle dans la tradition Kagyupa car elle détourne l’esprit de la distraction et de l’attachement aux situations mondaines.

Pour amener à terme la pratique de la méditation, pour nous aider à dépasser la distraction, il est possible de prendre des vœux ou différents types d’engagements. Cela peut être pour les moines et moniales, en tibétain, des vœux de guètsul, guélong, guètsulma, guélongma, et pour les laïcs, des vœux de guénièn ou upasaka en sanskrit. Un guénièn est quelqu’un qui est inspiré par la vertu de l’activité bénéfique et qui souhaite agir en ce sens. Prendre des vœux nous met en situation d’agir positivement et d’éviter les actes négatifs les plus importants. C’est une aide à l’accumulation de mérite, fondement de la pacification de l’esprit.
Le but est de trancher l’attachement à nous-même et à toutes les situations mondaines. Il ne s’agit pas de porter une belle robe de moine sans autre motivation, comme un cadavre qui serait bien habillé. Un moine ou une moniale est quelqu’un qui dissipe tout attachement pour le monde, qui n’a pas d’intérêt pour cette vie et pour les situations mondaines.
Le Bouddha a donné un premier cycle d’enseignements qui a pour but de libérer les pratiquants de la croyance en la réalité de l’ego à travers la maîtrise des quatre niveaux de concentration pour ainsi atteindre l’état d’arhat, l’état de complète libération du cycle des existences. Le Bouddha a établi une discipline, différentes règles pour réduire les distractions et conduire une vie propice à la méditation. Il a invité les pratiquants à mendier ensemble le matin, habillés de robes safran, pour avoir un repas à midi. La couleur safran n’était pas un support d’orgueil à cette époque en Inde.
Les pratiquants savaient qui ils étaient et les laïcs savaient à qui ils offraient de la nourriture. Ainsi avaient-ils un repas par jour à midi, ce qui fait que l’après-midi et le soir pouvaient être complètement consacrés à la méditation. En se limitant à un seul repas, ils gardaient l’esprit clair et enclin à la pratique de la méditation. Les robes safran étaient l’expression de l’engagement des moines et moniales dans la discipline instaurée par le Bouddha. Le sens de ces vœux est encore aujourd’hui de se protéger des attachements mondains, des fortes tendances qui nous rendent dépendants et comme intoxiqués par les émotions.

Approfondir la méditation

Mettre le corps en retraite n’est pas compliqué, il suffit de trouver un lieu solitaire, de s’y poser et d’y rester. C’est moins facile pour l’esprit car celui-ci n’est pas libre de l’agitation intérieure et il est nécessaire de le maîtriser, de le contrôler. Mais dès l’instant où l’esprit est contrôlé, il est comme en retraite, même si le corps est au milieu d’une ville agitée. De plus, il ne suffit pas de ne plus être dépendant des activités mondaines, il s’agit aussi d’être libre des doutes et des hésitations quant à notre capacité de mener la méditation à son terme. Notre inquiétude à ce sujet peut se révéler être un obstacle à tout progrès vers la stabilité.
Quand nous essayons de méditer, tout au début, l’esprit est extrêmement agité, exactement comme un cours d’eau bouillonnant. La première étape consiste à calmer l’esprit. Une fois cette pacification accomplie, nous pouvons être conscients de la pensée dès qu’elle s’élève.
La méditation devient plus facile et plus intéressante. En perdant les références ordinaires du temps et de l’espace, le corps et l’esprit sont à l’aise;  c’est le moment aussi où apparaît l’attachement à la méditation. L’esprit est clair, brillant et lucide, et le corps léger. Il est nécessaire alors de trancher l’attachement à toutes ces expériences et de passer à la méditation de Lhaktong. Mais au début, lors de la pacification de l’esprit, nous amenons l’esprit à se poser sur quelque chose, quel que soit l’objet de référence. Pour centrer l’esprit sur un objet sans être distrait, il existe de nombreuses méthodes ; trois d’entre elles, les plus connues dans les différentes écoles du bouddhisme, sont particulièrement bénéfiques. La première prend comme support la respiration, la seconde le corps du Bouddha et la troisième s’appuie sur l’enseignement de l’entraînement de l’esprit.

La respiration comme support

Si nous prenons comme support le mouvement de la respiration, la méditation peut devenir ennuyeuse et sans intérêt après un certain temps passé à être attentif à l’expiration et à l’inspiration. Aussi pouvons-nous nous appuyer sur les six habiletés qui nous aident à obtenir le résultat de la pratique méditative.
Cette méthode consiste à compter le cycle des respirations:  chaque cycle, de l’inspiration à l’expiration suivante, compte pour un. Le propos de cette méditation est d’arriver à prendre conscience des pensées les plus grossières, de suivre la respiration, et de poser progressivement l’esprit. Au début nous méditons pendant un temps assez court, par exemple sept cycles de respiration. Progressivement, cela devient plus facile et nous pourrons aller jusqu’à vingt et un. L’esprit devient de plus en plus souple et il ne se laisse plus emporter par les distractions, ce qui représente la première habileté. Lorsque nous arrivons à méditer jusqu’à mille cycles de respiration, cette maîtrise s’est approfondie, l’esprit est paisible, il n’y a plus d’agitation, plus de pensées fortes: c’est la deuxième habileté. A partir de trois ou quatre mille cycles, l’esprit commence vraiment à se stabiliser et une véritable clarté de l’esprit s’élève. Quand nous sommes capables de poser l’esprit de manière continue sur le mouvement de la respiration, il s’agit de la troisième habileté.
Si nous le désirons, nous pouvons effectuer une visualisation durant cette méditation. Lorsque nous expirons, nous imaginons qu’un rayon de lumière blanche comme du cristal, clair et transparent, apparaît à l’extérieur devant nous. Au moment de l’inspire, ce même rayon de lumière va rentrer et descendre à l’intérieur de nous-même jusqu’au niveau du nombril. Le propos de cette méthode est de rendre la méditation plus aisée et de dissiper la distraction en favorisant une plus grande clarté de l’esprit. La quatrième habileté est plus subtile car nous atteignons la maîtrise de la méthode, il n ‘y a plus de saisie réaliste sur la visualisation de la lumière blanche par exemple. Nous acquérons une perception plus subtile du support, nous expérimentons sa nature vide.
La cinquième habileté, encore plus subtile, est appelée le niveau de la transformation parce qu’il n’y a plus du tout de saisie sur le support et la méthode; nous réalisons la nature illusoire des choses, nous pouvons transformer notre perception et jouer avec. La sixième habileté correspond au moment ultime de cette méditation qui est alors complètement pure car la dualité entre l’esprit et l’objet est dissipée, le mouvement de la respiration est perçu comme étant de la nature de l’esprit lui-même. Les trois premières habiletés sont comme un entraînement et nous demandent un effort, alors que les trois dernières sont comme un jeu du fait de la maîtrise acquise aux trois premiers niveaux. Plus nous pratiquons intensivement, plus les fruits de la pratique apparaissent rapidement.

La posture de méditation en sept points

La posture en sept points est importante car le corps est parcouru de « tsas », terme traduit par canaux ou méridiens, dans lesquels circulent les « loungs », vents ou énergies.
Tout ce mouvement des énergies est lié à l’activité mentale et si le corps n’adopte pas une posture juste, s’il est voûté par exemple, les énergies ne circulent pas de façon correcte et l’esprit est perturbé. Les jambes sont complètement croisées dans la posture de vajra, le dos parfaitement droit et les deux genoux plus bas que le dos. Si cela n’est pas possible, nous devons nous asseoir soit en posture du bodhisattva, les jambes simplement croisées devant nous, soit sur une chaise un peu dure. Evitons que le dos soit courbé ou affaissé. Les mains sont posées dans le giron, la main droite sur la main gauche. Le menton est légèrement rentré en dedans, la tête dans le prolongement du dos. Les yeux se posent naturellement vers le bas, sans être fixés sur un point spécifique, et la bouche reste fermée naturellement, sans effort. Adopter cette posture dispose le corps et l’esprit à être à l’aise et produit le résultat approprié dans la méditation.

Difficultés et remèdes

A certains moments, l’esprit peut être lourd et sans clarté, englué dans la torpeur et dans la somnolence. A d’autres, l’esprit est clair mais très agité. C’est le signe que l’on a accumulé dans le passé des karmas négatifs, des actions négatives et le remède à cela c’est de dissiper les négativités et d’accomplir des actions positives. Une autre cause plus immédiate de la torpeur, c’est de trop manger. Le Bouddha était habile à donner des conseils reliés à la santé physique. Quand, dans le passé, les pratiquants passaient tout leur temps à méditer, ils n’avaient pas d’autres activités, ils ne mangeaient pas au-delà de treize heures, ce qui était un grand bienfait pour la méditation et pour leur santé. Nous conservons ainsi un corps léger et un esprit clair et transparent. Après la nuit, au lever, l’esprit est joyeux et disponible pour méditer.

Le corps du Bouddha comme support

Nous disposons une statue ou nous imaginons le Bouddha en face de nous. Visualiser le Bouddha est bénéfique car c’est relié au kyérim, la phase de création de la méditation sur les divinités, c’est comme un entraînement à cette pratique. Nous visualisons le Bouddha que nous souhaitons méditer, Sakyamouni, Amitabha ou autre. Nous imaginons que le Bouddha est lui-même présent face à nous, dans un espace ouvert et vide. Nous prenons refuge et nous développons l’esprit d’éveil, la bodhicitta ; éventuellement, nous faisons des offrandes telles que des prosternations en faisant les prières correspondantes. Nous imaginons un environnement verdoyant, ouvert et vaste, un peu comme un terrain de golf: Au milieu se trouve l’arbre de la boddhi qui exauce tous les souhaits et le siège de vajra, le rocher sur lequel le Bouddha s’est assis pour méditer. Nous posons l’esprit sur le corps lumineux et transparent du Bouddha qui médite. Une ouverture prend place dans l’esprit, nous sentons véritablement la présence du Bouddha, nous recevons sa bénédiction. Nous méditons tous les détails du corps du Bouddha afin qu’ils apparaissent clairement dans l’esprit: l’oushnisha au sommet de la tête, ses cheveux, ses yeux, son nez, sa bouche, puis tout son visage, ensuite les épaules, les bras, la position des mains, les jambes dans la position juste également, ensuite les robes avec lesquelles le Bouddha est habillé, finalement tout le corps du Bouddha. Nous méditons ainsi jusqu’à ce que tout le corps nous apparaisse clairement et précisément. Il est important de méditer également sur l’aspect de clarté, de transparence et de brillance du Bouddha.
Durant cette méditation nous recevons la bénédiction du Bouddha; en développant une profonde aspiration et une véritable dévotion, nous pouvons rester absorbés durant une longue période de temps. A la fin, nous imaginons que le Bouddha se transforme en une lumière dorée qui ensuite est insufflée en nous par le sommet de notre tête. Nous sommes complètement indifférenciés du Bouddha, nous devenons un avec l’Eveil. Cette méthode n’appartient pas aux tantras mais aux soutras. Nous utilisons le corps du Bouddha de façon simple pour développer l’inspiration, la foi, la dévotion et ainsi recevoir l’influence spirituelle, la bénédiction du Bouddha, ce qui rend plus facile la reconnaissance de l’esprit.

Si nous pouvons consacrer plusieurs jours à une retraite, nous méditerons sur le Bouddha durant les sessions du matin, et nous utiliserons la respiration comme support pendant les sessions de l’après-midi et du soir. Si nous avons peu de temps pour la pratique, il est bien de prendre le Bouddha comme support avant d’aller travailler afin de recevoir sa bénédiction, et le soir de prendre la respiration comme support. Le but de ces différentes méthodes est de mener la pacification de l’esprit à son terme. Lorsqu’il n’y a plus de point de référence utilisé, l’esprit complètement stable est lui-même pris comme support de la méditation. Il existe quatre niveaux principaux d’accomplissement dans la pratique de chiné. Le premier, qui s’appelle « samten » en tibétain, est expérimenté comme un état de plénitude très doux, sans limite et sans entrave. A ce premier niveau de la pratique de chiné, il y a suffisamment de stabilité pour commencer à pratiquer lhaktong, la méditation de la vision pénétrante.

L’entraînement de l’esprit comme support

L’essentiel dans l’entraînement de l’esprit en sept points, « lodjong » en tibétain, consiste à développer la bodhicitta, l’esprit d’éveil, selon plusieurs étapes. La première est de prendre conscience de l’aspect négatif de la saisie égoïste et de toutes les attitudes perturbatrices qui s’en élèvent. Dans un deuxième temps, nous considérons les autres comme plus importants que nous-mêmes. En pratique, cette attitude d’esprit se traduit par l’échange de nous-mêmes avec les autres. Nous donnons notre bonheur aux autres et nous prenons sur nous leurs souffrances. Si nous relions cela à la pratique de la pacification de l’esprit, lorsque nous expirons, nous imaginons que nous donnons aux autres le bonheur, les vertus et tout ce qui vaut la peine d’être donné et quand nous inspirons, nous absorbons la souffrance des êtres. Ces quelques instructions résument le cœur, l’esprit même de l’entraînement de l’esprit. Pour réaliser les fruits de la méditation, il y a deux activités qui sont essentielles: l’accumulation de mérite en générant une activité positive et la purification des attitudes négatives accumulées au cours d’innombrables vies. L’entraînement de l’esprit nous permet de générer une activité positive.

La méthode qui consiste à échanger notre bonheur avec la souffrance des autres est une pratique positive, néanmoins elle induit une activité conceptuelle et il est nécessaire de penser à ce que nous faisons. Pratiquer la méditation en utilisant la respiration comme support va protéger l’esprit de toute distraction, il suffit de compter les respirations.
Tous les bonheurs s’élèvent d’un esprit pacifié, paisible et toutes les souffrances s’élèvent d’un esprit confus. Mais la pacification de l’esprit que nous réalisons par la pratique de chiné est relative: elle peut demeurer stable durant une longue période, mais elle reste quelque chose qui n’est pas ultime et défInitif. Le plus facile est d’abord d’établir cette paix relative qui sera la base indispensable à une pacification plus ultime. La pratique de lhaktong dépend complètement de la maîtrise de chiné. Quelles que soient les autres méthodes, comme par exemple la pratique des mantras ou le fait de recueillir de nombreuses initiations, elles ne permettront pas de réaliser véritablement l’Eveil et ne remplaceront jamais les méditations de chiné et de lhaktong que nous effectuerons nous-même.

Le Bouddha disait: « Je vous montre le chemin de l’éveil, le chemin de la libération, mais cette libération ne dépend que de vous ». Le Bouddha ne peut laver la souffrance des êtres, ce n’est que par eux-mêmes qu’ils pourront la dissiper. Si nous voulons sortir d’un cauchemar, c’est à nous de nous réveiller, parce que l’esprit qui fait le cauchemar est le nôtre.

L’effort enthousiaste

La paramita de la persévérance enthousiaste est essentielle parce que c’est cette qualité éveillée qui fait croître les cinq autres qualités. Le Bouddha a médité pendant six longues années. Un tel être a dû lui aussi cultiver cet effort enthousiaste pour arriver au terme de la voie. Quelle que soit la méthode que nous choisissons, pratiquons avec diligence.
Milarépa a tout d’abord rencontré son maître Marpa et expérimenté de nombreuses difficultés; après quoi il a reçu les instructions et les transmissions. Il est parti seul dans la montagne et il s’est complètement dédié à la pratique de façon intensive: c’était de sa propre décision et c’est lui qui a parcouru la voie. Un débutant doit commencer par écouter attentivement et étudier les enseignements, les instructions et les méthodes qui servent à la pratique. Il s’investit dans une pratique intensive sur la base d’une certitude fondée sur l’écoute et la réflexion. Il est primordial d’acquérir cette connaissance de base, d’y réfléchir et de s’en remettre à un enseignant qui, à travers l’échange, dissipe les doutes et les incertitudes.

Les trois stades de la méditation de lhaktong

Au premier stade, nous prenons le corps comme support de méditation. En effet, c’est à travers le corps physique que se constitue l’idée d’un soi. Nous allons donc explorer ce corps ainsi que les cinq agrégats qui composent cette entité dénommée « moi je » jusqu’à être certain qu’elle n’a aucune réalité. D’abord, nous analysons les aspects les plus grossiers, les os, la chair, le sang. Nous découvrons alors que le corps n’est que le rassemblement de tous ces éléments, qu’il n’y a rien en tant que tel qui puisse être appelé un soi au niveau du corps: il n’y a pas la moindre particule ayant une existence indépendante et sur laquelle le soi puisse être établi.

Ensuite, au deuxième stade, nous considérons tous les phénomènes: les sons, les arbres, les pierres, toute la manifestation extérieure. La planète terre, par exemple, est faite des plusieurs éléments: les montagnes, les océans, les rivières. En approfondissant, nous comprenons qu’il n’y a pas la moindre particule qui ait une existence indépendante. Nous aboutissons à la certitude que toute la manifestation matérielle n’a aucune réalité, qu’elle n’a aucune existence en tant que telle. Ces deux types de méditation de lhaktong, sur le corps puis sur les phénomènes, sont dits ordinaires. Evitons cependant de tomber dans l’extrême du nihilisme en pensant qu’il n’y a rien et que ce « rien » est en fait la chose qui existe.

Une fois que nous maîtrisons les deux premiers niveaux de lhaktong, nous abordons le troisième, le lhaktong ultime, non ordinaire, dans lequel l’esprit lui-même est l’objet de l’investigation. Une fois que nous prenons conscience que la manifestation extérieure, que ce soit le corps ou le monde extérieur, n’a pas d’existence en tant que tel, nous avons la capacité de regarder l’esprit. Nous l’observons sans être distraits par quoi que ce soit, et nous réalisons que passé, présent et futur n’ont pas d’existence en tant que tels. L’esprit n’est rien d’autre qu’une continuité d’instants. L’activité de l’esprit se déploie en relation avec les perceptions du corps et du monde ordinaire. En contemplant l’esprit nous nous libérons de la saisie duelle.

L’esprit regarde l’esprit: c’est la réalisation de la nature de l’esprit. Mais pour aboutir à cela, une véritable stabilité est nécessaire. Si nous n’avons pas accompli la méditation de chiné, la pratique de lhaktong n’aura aucun résultat véritable. Dans la tradition kagyupa, Gampopa a expliqué que dans un premier temps il est nécessaire de pratiquer chiné pour pacifier l’esprit. Après quoi, nous pratiquons lhaktong dans ses deux premiers aspects, avec le corps puis avec les phénomènes comme points de référence, suffisamment pour acquérir la confirmation qu’il n’y a aucune réalité substantielle.

La méditation sur l’esprit lui-même permet alors de réaliser l’instantanéité de l’esprit à travers chacune des pensées, parce que l’esprit n’est fait que de ses pensées. La véritable nature de l’esprit, de la vacuité, est alors reconnue à partir des instructions de la transmission de Gampopa..

Souhaits et générosité

Dans le texte « Les souhaits du Mahamoudra », le troisième Gyalwa Karmapa dit que si nous ne pouvons pas dédier cette vie complètement et intensivement à la méditation, nous pouvons faire des souhaits pour les prochaines vies. Souhaiter une renaissance favorable pour nous permettre de véritablement pratiquer le dharma, c’est souhaiter renaître dans un lieu favorable où le dharma existe, dans une bonne famille afin de recevoir une éducation qui nous permette de nous tourner vers la spiritualité. Il faut également faire le souhait d’avoir un esprit clair, l’intelligence suffisante et toutes les qualités physiques nécessaires pour pratiquer le dharma. C’est dans une perspective à très long terme que nous développons ces différents souhaits. La réalisation de l’Eveil est une longue entreprise qui demande du temps, d’où l’importance d’avoir l’aide et le confort nécessaires pour continuer la pratique. Il ne s’agit pas de faire des souhaits égoïstes mais, au contraire, de les faire avec l’aspiration d’accomplir le bienfait des autres.

Dans le cycle des existences, nous n’avons aucun contrôle direct sur notre situation. La saisie égoïste et son cortège d’émotions génèrent un karma négatif qui empêche la réalisation de nos souhaits. Il faut rassembler les causes et les circonstances favorables pour avancer progressivement vers l’Eveil. Faire des souhaits et rassembler les causes justes s’effectuent avec la motivation de l’esprit d’éveil. Le cœur de la bodhicitta est le développement de l’amour bienveillant et de la compassion. Les causes qui vont permettre à ces souhaits de se réaliser proviennent de la pratique de la générosité envers les supports éveillés que sont le bouddha, le dharma et la sangha, envers les supports de bienveillance, nos parents, et envers les êtres qui expérimentent de grandes souffrances tels que ceux des mondes inférieurs. Nous pouvons utiliser notre corps pour circumambuler des stoupas, notre parole en récitant des mantras et en recevant des transmissions et des initiations. Il est important d’utiliser tous les moyens qui sont à notre disposition pour accumuler ces activités bénéfiques, c’est ce qui va nous permettre d’accomplir un bienfait croissant pour les êtres.

Shamar Rinpoché