De la confusion à l’Eveil

Pour comprendre ce qu’est la méditation, il faut d’abord comprendre la situation dans laquelle on se trouve. On oublie trop souvent que les choses changent. Quelque chose qui apparaît est appelé à disparaître tôt ou tard. Quelque chose qui s’élève à un moment ou à un autre disparaîtra ; cela se passe ainsi à tous les niveaux, du plus grossier au plus subtil. La terre sur laquelle nous nous trouvons disparaîtra à un moment ou à un autre. En tibétain, l’univers se dit djikten qui signifie « support destructible », montrant bien le sens de ce qu’est cette terre. De la même façon, les êtres qui peuplent cette terre disparaîtront tôt ou tard. Dans un siècle, les êtres qui sont sur cette terre n’y seront plus et seront remplacés par d’autres. Ainsi les choses se renouvellent sans arrêt, se transforment sans cesse. Et si l’on considère l’impermanence de façon plus subtile, on constate que les phénomènes se modifient d’instant en instant. En cet instant précis, les choses ne sont plus les mêmes qu’à l’instant précédent et ne sont pas les mêmes qu’à l’instant suivant.

Il y a une fluidité des phénomènes, des choses, mais on l’oublie. On fige les situations, on perd cette fluidité, cette souplesse, et tout devient solide, lourd et difficile. Par contre, si l’on se rappelle l’impermanence des phénomènes, cela nous donne de l’espace pour mieux comprendre notre situation.

Cette situation, quelle est-elle ? Toute notre expérience, toute notre activité, est centrée sur « je », « moi-je », « moi j’existe » et paradoxalement, si l’on essaye de voir ce qu’est ce  » je », on manque de précisions. On s’identifie effectivement à un corps et à ce que l’on perçoit de l’esprit : certaines sensations, certaines per­ceptions, des pensées, des émotions. Cela reste très flou, et pourtant c’est le centre de toute notre expérience.

Dès l’instant où l’on dit « moi-je », il y a le monde extérieur avec lequel on établit une relation.

Ou bien on s’approprie tout ce qui nous semble bénéfique, positif, favorable et on s’y attache. Ou bien on rejette et on repousse tout ce qui nous semble nuisible et négatif, tout ce qui représente un danger. Il ya encore tout ce que l’on ignore, tout ce qui n’est pas notre affaire, toutes les personnes, les situations et les choses que l’on ne rencontrera probablement jamais. Et face à elles, on reste indifférent.

Ainsi, notre expérience, notre relation aux autres, notre relation au monde, est toujours fondée sur l’une de ces trois attitudes : l’attachement, l’aversion, ou l’indifférence. A partir de là, se déploie un jeu d’émotions et de névroses, un jeu parfois très complexe qui va complètement colorer notre relation aux autres. A partir de l’attachement et de l’aversion, l’orgueil et la jalousie prennent place, tout cela se combinant en un réseau émotionnel qui définira notre attitude. Le corps et la parole dépendent de l’esprit. Dès l’instant où l’esprit est émotionnel, notre attitude est émotionnelle. La relation aux autres, la relation au monde et la relation à nous-mêmes seront fondées sur toutes ces émotions : l’indifférence, la jalousie, l’orgueil, la colère, le désir, etc.

On pourrait se dire: « C’est très bien, nous sommes des êtres humains, nous avons des émotions et c’est bien normal ! » Le problème est que ce type de relation duelle est caractérisé par l’insatisfaction. On ne peut pas trouver un bonheur durable dans cette relation duelle. Si nous regardons notre expérience avec un minimum d’honnêteté, nous nous apercevrons vite qu’il y a effectivement toujours quelque chose en trop ou quelque chose qui manque dans notre relation aux choses. Il y a toujours cette insatisfaction de base, cette espèce de frustration. Nous n’arrivons jamais à quelque chose de plein à cause de la dualité et de cette relation émotionnelle. Et tant que la relation est fondée sur l’émotion, elle génère l’insatisfaction. Et puisque notre expérience des choses est basée sur la frustration, de surcroît on nourrit cette frustration, on se débat. On cherche le bonheur et cette recherche est la source de l’insatisfaction. Ce qui vient d’être décrit, c’est la situation de confusion ou la situation d’ignorance.

Heureusement, il y a aussi l’autre aspect, la situation d’éveil. Dans notre confusion, existe un potentiel d’éveil, un potentiel de sagesse, que l’on appelle la nature de l’esprit ou nature de bouddha. Ces mots différents pointent une même réalité, mais le problème vient de ce que, lorsqu’on doit décrire cette réalité, les mots font défaut. En effet, cette réalité n’est pas du domaine de la dualité, n’est pas du domaine du concept, c’est une expérience qui se situe au-delà de notre expérience ordinaire et confuse.

On ne peut en avoir une complète compréhension en utilisant uniquement des concepts. Par contre, on peut en donner une explication pour avoir une idée de ce qu’elle est. On peut dire, par exemple, que cette sagesse n’a pas de début. Elle ne commence pas à tel endroit ou à tel moment. De la même façon, elle ne finit pas quelque part ou à un moment donné. C’est pour cela que la nature de l’esprit ne peut être considérée comme un objet : elle pénètre toutes les choses, tous les êtres. L’esprit est cette ouverture fondamentale qui n’a ni centre ni périphérie ; il est comparé à l’espace. Ce n’est pas une espèce d’état mystique que l’on rencontrera à un moment ou à un autre. C’est l’état fondamental de toute chose. La nature de l’esprit est l’espace duquel tous les phénomènes s’élèvent. C’est ce que le Bouddha voulait dire par : « la forme est le vide et le vide est la forme ». La sagesse, ou la vacuité ou l’esprit, n’est pas différente de la manifestation telle qu’elle prend place à l’extérieur ou à l’intérieur de nous. En d’autres termes, l’esprit, qui fondamentalement est compassion, n’est pas seulement un espace vide mais possède une qualité créative qui permet à une manifestation, à une expérience, de prendre place.

Le chemin spirituel consiste, à partir de notre état de confusion et d’ignorance, de notre état émotionnel d’insatisfaction, à aller vers la sagesse. Même si ce n’est pas un lieu, même si ce n’est pas un objet en tant que tel, un chemin est nécessaire. Il y a un début : notre état d’insatisfaction et de confusion ; il y a un chemin, un processus de remise en question, de purification; il y a enfin un but: l’actualisation du potentiel d’éveil qui est présent en chacun de nous. La sagesse, la nature de l’esprit, est présente en tous les êtres, comme le beurre est présent dans le lait ; cette sagesse est là, et c’est à nous de l’actualiser. Comme on baratte le lait, il faut purifier l’esprit.

Il y a méditation et méditation…

Dans un premier temps, pour entamer ce chemin, il est nécessaire de prendre conscience de ce que nous sommes, ainsi que de nos limites. Notre expérience égocentrée est caractérisée par les émotions, la peur, l’espoir, l’attente, l’inquiétude ; c’est le matériau avec lequel nous travaillons, c’est le matériau de base que l’on utilise dans la méditation. Première étape : reconnaître notre état de confusion, d’insatisfaction, et développer la certitude du potentiel d’éveil. La méditation consiste à joindre les deux. A partir de la confusion, on actualise l’éveil.

Mais, lorsque l’on parle de méditation, il y a différentes façons d’aborder les choses. !

Certains ont entendu dire que méditer, c’est d’arriver à un état sans pensées. Ils vont donc s’efforcer d’arrêter l’esprit et se dire : « A partir de maintenant, il ne faut plus penser, plus éprouver d’émotions, plus générer de mouvements dans l’esprit. Je vais alors reconnaître cette nature de l’esprit. » Cela demande beaucoup d’énergie. On fera énormément d’efforts pour arrêter l’esprit et on arrivera peut-être à un état sans pensées, mais une fois que l’on y sera parvenu, il faudra encore mettre de l’énergie pour le préserver. Cependant l’esprit ne se laisse pas faire, car c’est quelque chose de vivant, de dynamique, qui s’élève d’instant en instant. Le bloquer demande tellement d’efforts qu’on aboutira à une tension physique et mentale, et que finalement on expérimentera quelque chose qui sera tout à fait à l’opposé de ce que devrait être la méditation : un moment de détente, d’ouverture, de présence aux choses. On sera perdu à cause d’une mauvaise idée de départ qui consiste à dire que méditer c’est avoir un esprit sans pensées. S’il en était ainsi, une simple carafe d’eau, par exemple, serait un grand méditant car elle n’a effectivement pas de pensées. Mais entre une carafe d’eau et nous, il ya une différence, c’est l’esprit. Nous ne sommes pas des carafes d’eau, nous sommes des êtres vivants.

D’autres ont entendu parler de la méditation comme étant une série d’expériences à rencontrer. Ils méditent donc dans un état de grande recherche, espérant voir des couleurs, des formes, avoir des sensations etc. Effectivement, en méditant de la sorte, ils connaîtront des expériences, mais rien n’est permanent et lorsqu’une expérience prend place, elle disparaît tôt ou tard. Et dès l’instant où elle disparaît, l’insatisfaction et la frustration s’installent. On essaye alors de retrouver cette expérience ; on commence à s’impatienter, à être dans un état de tension, d’attente, sans pouvoir trouver l’ouverture et la détente. Finalement, dans ce deuxième type de méditation, on ne fait que renouveler le processus de l’ego consistant à renforcer son existence, sa sécurité.

Il existe un troisième type de méditation, qui pourrait s’appeler la méditation du cocooning.

On se dit que méditer c’est être bien, et on se fait alors quelque chose de confortable, sans trop de perturbations. Dans ce type de pratique, dès l’instant où se présentent des émotions un peu plus fortes, le cocon est secoué, remis en question, et on est à nouveau insatisfait, on perd sa sécurité, sa petite méditation confortable, et on essaye de retrouver l’aise que l’on avait au début ; comme on ne la trouvera pas, cela va créer agitation et énervement et l’on aura encore perdu la détente.

Ce sont trois exemples de méditation erronée, parce que le but de la méditation est d’abord de se reconnaître tel que l’on est. Or ces méditations ne cherchent qu’à créer un nouveau nous-même, un nous-même sans pensées ou avec des expériences. On vient rajouter quelque chose à ce qui est déjà là, ce qui nous conduit vers plus de confusion et nourrit l’ego. On ne fait que renforcer les processus d’attachement, on solidifie ce qui existe déjà. De plus, on ne pourra pas mettre cela en pratique dans la vie quotidienne, les émotions et ce qui viendra de l’extérieur gêneront notre méditation.

Méditation et émotions

Pour méditer, il faut tout d’abord s’asseoir et faire le ménage, nettoyer toutes les idées préconçues que l’on a à propos de la méditation. On s’assoit et on se détend, on lâche prise, on est là simplement.

Que veut dire « se détendre » ? A la fin d’une journée, lorsqu’on a fait ce que l’on avait à faire, que le travail est terminé, on rentre chez soi. On s’assoit sur le divan et on se dit « ouf ! » Il n’y a plus de recherche, plus d’inquiétude, on est juste là. Un tel état d’ouverture et de simplicité est une condition préalable à la méditation. Tant qu’on n’a pas atteint ce lâcher prise, on n’a pas accès à ce qu’est l’esprit. Lorsque l’esprit est agité et confus, on dépend des pensées et des émotions telles que la jalousie, l’orgueil, etc. C’est pour cela qu’il s’agit, dans un premier temps, de s’arrêter, de se détendre et de regarder.

On voit alors que, jusqu’à présent, on a surtout eu tendance à repérer les défauts à l’extérieur de soi-même. Incapable de reconnaître le jeu de nos émotions, on voit les défauts chez l’autre et on le juge. Alors même que l’esprit fonctionne à partir de ces défauts, de ces émotions, on est incapable de les voir et de plus on les projette sur les autres. Toute notre attitude est fondée là dessus et jamais on ne pourra trouver l’espace suffisant pour se détendre. C’est pour cela que la méditation consiste tout d’abord à inverser le regard pour le tourner vers l’intérieur ; ne rien faire et prendre conscience des émotions et de leurs mouvements.

Au début, on n’a pas conscience de la densité des émotions ; c’est pour cette raison que le regard détendu et sans jugement sur ses propres défauts est nécessaire. Il ne s’agit pas de se dire que ce n’est pas bien ou que c’est mauvais. Au contraire, il s’agit d’avoir un regard lucide et simple, d’accepter ce qui s’élève. Et on verra que l’ensemble de notre relation au monde est défini par ce réseau de pensées et d’émotions que l’on cristallise et auxquelles on s’identifie. En prendre conscience est la première étape. Dans un premier temps, on peut être découragé par le nombre et l’intensité des émotions. En fait, c’est l’ego qui est découragé, c’est donc assez sain. C’est une première remise en question.

Une fois que l’on a vu cela, on se demande que faire. On prend conscience qu’il est nécessaire de changer, mais on ne possède pas encore les outils pour se transformer. Le Bouddha a donné de nombreuses méthodes pour y parvenir. Pour chaque émotion, il a donné un antidote. Dans la vie quotidienne, quand on prend conscience d’une émotion, on peut la transformer. Par exemple, lorsque la colère s’élève, que quelqu’un nous irrite ou qu’une situation nous énerve, il faut d’abord voir cette colère. Ensuite, on se demande quelle en est la cause. Est-ce l’autre ou est-ce nous-même ? On se rend compte que c’est nous-même. En effet, à certains moments, une situation nous mettra en colère et à d’autres moments, non. La cause de la colère n’est pas l’agression extérieure, mais notre incapacité à assumer cette agression. En réfléchissant ainsi, on adoptera une relation plus souple face à ce qui nous arrive de l’extérieur, et l’on créera un premier espace dans lequel la colère pourra se pacifier, faire place peu à peu à l’ouverture, à la tolérance et à la patience. C’est une première façon de réagir face à la colère.

La jalousie représente l’incapacité à reconnaître les qualités des autres. La jalousie est une émotion difficile à voir parce qu’elle est très insidieuse. Une façon de la repérer consiste à se rendre compte que, lorsque l’on est avec d’autres personnes, on n’arrive jamais à être satisfait de la situation, parce que les circonstances extérieures ne nous plaisent pas. On ne voit pas que cette insatisfaction provient du fait que l’on n’arrive pas à accepter les qualités de ceux qui nous entourent. Le remède à la jalousie sera la réjouissance. Reconnaissant les qualités des autres, on s’en réjouira. C’est une chose toute simple, mais que l’on n’a pas l’habitude de faire. Dès l’instant où l’on adopte cette attitude, elle crée une ouverture dans la relation aux autres. Si chacun se réjouissait des qualités des autres, les relations seraient bien souvent beaucoup plus simples.

L’orgueil, c’est l’incapacité à se reconnaître tel que l’on est. Le remède, on l’a déjà expliqué plus haut, consiste à prendre conscience de ses défauts pour pouvoir les transformer.

En ce qui concerne l’ignorance, il faut bien comprendre de quoi il s’agit. L’ignorance revient à ne pas voir quelque chose, et ce qui n’est pas vu, c’est cette ouverture fondamentale, la capacité de l’esprit à se reconnaître lui-même. On cherche le bonheur, mais on n’en connaît pas les causes. Notre expérience de nous-même et du monde est solide et figée. Se rappeler que tout ce processus est illusoire représente le remède à l’ignorance. On retrouve alors la fluidité et la souplesse de la situation et on parvient à en rire.

C’est une première façon, encore très duelle, d’entrer en relation avec les émotions ; lorsqu’une émotion s’élève, on lui applique un antidote. Cette pratique a plusieurs avantages : on peut la mettre en œuvre en toute circonstance et elle permet de se familiariser avec les émotions, d’être à l’aise avec elles.

Méditation et clarté

En tibétain, méditation se dit gom, qui signifie s’entraîner. Pour le moment le processus de l’ego est automatique, les tendances sont ancrées en nous depuis des temps sans commencement. On ne fabrique pas la colère, elle s’élève d’elle-même, l’orgueil est un processus d’identification naturel, etc. La méditation va modifier cela. Si l’on commence à appliquer les antidotes, seul et avec les autres, le processus de l’ego s’inverse peu à peu. Alors qu’on allait être pris par l’émotion, on se souvient du remède, on le met en pratique et on modifie la relation à la situation. Cela nous conduit à un deuxième type de méditation qui est un regard beaucoup plus direct sur l’émotion. Il ne s’agit pas cette fois d’apporter un remède spécifique à chaque émotion, mais plutôt d’arrêter d’écouter ce que nous dit l’émotion ou la pensée et d’essayer de voir simplement son mouvement.

Qu’est-ce qu’une émotion : c’est un mouvement. Prenons la colère par exemple. Quelque chose nous irrite, quelqu’un nous agresse, et tout à coup la colère s’élève. Que se passe-t-il en réalité ? C’est un mouvement dans l’esprit, quelque chose qui prend place et envahit aussi bien l’esprit que le corps. Si l’on écoute la colère, si l’on s’identifie à elle, elle nous maîtrise ; on dira ce qu’on ne voulait pas dire, et on fera peut-être ce qu’on ne voulait pas faire. Mais si, plutôt que de saisir la colère, plutôt que de s’identifier à elle, on la laisse s’élever et on lui laisse de l’espace, regardant simplement son mouvement, essayant de voir d’où elle s’élève, où elle prend place, où elle disparaît, on ne pourra rien trouver de réellement existant. Il en va de même pour les autres émotions, idées, sensations, perceptions, pour tout ce qui s’élève dans l’esprit. Plutôt que d’écouter tout cela, plutôt que de le manipuler, l’esprit se regarde lui-même. Si on ne saisit pas la pensée ou l’émotion qui s’élève, si on ne s’identifie pas à elle, alors elle se libère d’elle-même, elle se pacifie.

C’est une instruction clef de l’enseignement du Bouddha. Si l’on détend cet esprit qui est lié, il se libèrera, cela ne fait aucun doute. Cette instruction simplifie la relation que l’on entretient avec soi­-même. Cela signifie que, lorsqu’on détend l’esprit, lorsqu’on lui laisse l’espace suffisant pour se déployer, de lui-même il se pacifie, exactement comme une vague qui s’élève de l’océan retourne d’elle-même à l’océan. Il n’y a rien à faire, rien à fabriquer ou à construire. C’est un processus naturel et l’esprit possède cette capacité à se pacifier de lui-même. Mais dès qu’une pensée s’élève, on la saisit, on y réfléchit, on en rajoute d’autres, ce qui nous emmène dans un train de pensées vers toujours davantage de confusion et de mouvement.

En fait notre esprit est comme une petite mare d’eau agitée, l’eau et la vase sont continuellement mélangées et la mare est opaque. Si l’on arrête de mélanger l’eau, la vase se dépose au fond et la transparence et la clarté de l’eau apparais­sent. Cette transparence ne peut être fabriquée, elle prend place d’elle-même. Il en va de même pour l’esprit qui ne peut se pacifier que de lui-même.

De plus, si l’on ne saisit pas la pensée qui s’élève, si on la laisse se déployer et se pacifier, elle révèlera les qualités de l’esprit. Celui-ci a la capacité de se reconnaître lui-même pour ce qu’il est, il possède cette capacité créatrice de reconnaissance. La conscience confuse que l’on a actuellement des choses n’est rien d’autre que cette conscience fondamentale de l’esprit, mais voilée par la saisie égoïste. Nous avons en nous ce potentiel de clarté, nous possédons cette capacité de l’esprit à se connaître et à connaître les phénomènes directement. On ne peut y accéder qu’en se détendant, en s’arrêtant et en lâchant prise. Cette capacité est là depuis toujours, mais n’est pas reconnue à cause de l’ignorance. Donc, méditer c’est tout d’abord se détendre, regarder ce qu’est l’esprit, avoir le courage de laisser son esprit se rencontrer lui-même.

En fait, le titre de cet article: « La méditation, un art de vivre » n’est pas un très bon titre. Il aurait mieux valu l’appeler « La méditation, un artisanat de vie » parce que l’artisan travaille directement avec la glaise. Et notre glaise, ce sont les émotions et la confusion. On ne se bat pas avec elles, au contraire on rencontre cet aspect agité de l’esprit afin de pouvoir le reconnaître.

Méditation et méthodes

Ne pas être submergé par les pensées demande un petit peu de méthode. Dans la méditation, on a besoin d’un support, d’un point de référence. Le Bouddha en a donné plusieurs. Le plus aisé à utiliser est la respiration ; on suit simplement le mouvement de la respiration, expiration, inspiration… Ne faisant qu’un avec sa respiration, avec le mouvement de l’air qui entre et qui sort, on se défait peu à peu de la saisie, et l’esprit peut prendre son mouvement propre. De toute façon, nous ne sommes pas propriétaire de nos pensées et les laisser aller là où elles veulent, c’est les laisser. En pratiquant de cette façon, on sera à même d’abandonner progressivement les différents supports et artifices pour utiliser la pensée elle-même comme support. Le mouvement de la pensée nous ramènera à la méditation. Et, d’instant en instant, à chaque fois qu’une pensée s’élèvera, on s’en dessaisira et elle se libèrera d’elle-même. De pensée en pensée, on laissera l’esprit se libérer, et cet esprit détendu, sans saisie, se pacifiera de lui-même.

Une position juste du corps est nécessaire également. L’essentiel est d’avoir le dos bien droit, les épaules détendues, tirées ni trop en avant, ni trop en arrière, la tête dans le prolongement du dos, le visage détendu, car il est le lieu de bien des tensions, les yeux dirigés vers le bas. Si l’on peut s’asseoir en tailleur, c’est parfait, sinon on s’assoit sur une chaise et c’est parfait aussi. L’essentiel est d’être à l’aise, la main droite posée sur la main gauche dans le giron. Établissant le corps dans la position juste et l’esprit dans la détente vigilante, conscient de ce qui se passe au moment où cela se passe, on a tout ce qu’il faut pour pacifier l’esprit et retrouver sa clarté.

Si l’on souhaite avoir des fruits dans la méditation, il est nécessaire de s’y entraîner avec régularité ; il faut chaque jour retrouver son coussin de méditation, regarder l’esprit et son mouvement. Il ne s’agit pas de méditer longtemps mais souvent ; le matin, le soir, régulièrement. Une trop longue période de méditation pour un débutant ne ferait que renforcer la volonté et la distraction. De courtes sessions permettent de trouver la fraîcheur et la nouveauté de l’esprit. Un esprit méditant est un esprit neuf. Il est dit que le méditant est comme un berger idiot, car il est là, assis, à regarder ses moutons et il ne fait rien, tout heureux de les voir gambader. Le méditant est le berger idiot de ses pensées, il les regarde aller de-ci, de-là, il ne fait rien, il les laisse. L’esprit du méditant est comme un enfant qui entre dans un temple pour la première fois, il est face à beaucoup de couleurs et de formes, et il est ébahi. On devrait être étonné à chaque pensée ! Sans jugement, sans intervention, l’esprit du méditant est comme l’espace, totalement inentravé ; tout peut y prendre place parce que tout est là, tout est en nous. On ouvre et on détend l’esprit, on le simplifie. Tout va alors s’élever, prendre place et ainsi se libérer.

Méditation et expériences

L’esprit n’est qu’une succession d’instants, de pensées. C’est la saisie qui leur donne une continuité. On a une impression de durée, que quelque chose s’est passé, se passe et va se passer. La méditation permet de dépasser cela pour reconnaître l’instantanéité de l’esprit. Arrive le moment, dans la méditation, où l’esprit se reconnaît lui-même. Le temps d’un instant, on pénètre cette dimension de non dualité. Ce n’est plus quelqu’un qui médite sur quelque chose, c’est tout à coup l’esprit qui se reconnaît dans son espace de clarté et d’ouverture. On se dit alors : « Ca y est! Je l’ai ! » Et au moment où on le dit, on le perd. Mais ce n’est pas grave parce que, pendant un instant, l’essence a été reconnue. Cela nous donne confiance dans notre pratique, nous donne envie de continuer. En effet, une des qualités de cet esprit, c’est le bonheur. La félicité, la joie, prend place dans l’esprit, emplit notre méditation. Nous retrouvons cela dans la vie quotidienne qui devient une méditation. Dès l’instant où l’on commence à s’entraîner à une pratique formelle, on peut s’entraîner dans la vie de tous les jours, dans l’activité. Il est important de préserver de petits moments de vigilance ; pendant les moments de pause par exemple, où lorsqu’on se promène. Ce sont des choses que l’on peut faire en toute occasion, qui sont à notre portée, dans des moments de détente ou quand une émotion est un peu plus forte.

La colère, ou une autre émotion qui s’élève, devient une opportunité de reconnaître la nature de l’esprit. Puisque l’émotion n’est pas autre chose que l’es­prit, elle représente la possibilité de reconnaître la qualité de l’esprit. Chaque fois qu’une émotion s’élève, nous avons le choix : ou nous la saisissons, nous nous identifions à elle, nous sommes pris par elle, ou nous nous en dessaisissons et la laissons se libérer d’elle-même. D’instant en instant, nous avons le choix : le choix de la confusion ou le choix de l’éveil. Ce n’est pas chose évidente car les tendances et la saisie sont fortes, l’habitude qu’a l’esprit de solidifier les choses est puissante.

C’est pour cette raison qu’un entraînement est nécessaire. On commence par la détente et on développe la vigilance, par une pratique formelle d’abord, dans la vie quotidienne ensuite. Avec le temps et la pratique, les habitudes mentales vont se transformer et la saisie s’épuiser. Au départ, il ya un effort à faire; ensuite, une relation plus simple, plus bienveillante prend place progressivement et une authentique compassion peut s’exprimer. Bienveillance et compassion signifient que l’on comprend que l’autre est dans la même situation que soi, dans la même confusion, dans la même frustration et la même souffrance, et qu’il n’a pas les moyens de s’en libérer. L’attitude juste consiste à établir avec les autres une relation dans laquelle on donne à chacun la chance de se libérer de la confusion et de créer les causes du bonheur. Et si l’on est soi-même plus détendu et plus vigilant, cette relation prend place d’elle-même.

Les causes de la méditation

Deux conditions sont indispensables pour mener à bien un tel chemin spirituel. La première, c’est la nécessité d’un guide. Nous sommes noyés dans la confusion, aussi avons-nous besoin de quelqu’un qui a parcouru le chemin, qui en connaît les pièges et les impasses. Nous avons besoin de quelqu’un qui puisse nous transmettre le chemin, nous mettre en situation, créer pour nous les circonstances favorables qui nous permettront d’avancer. C’est pour cette raison qu’un guide est indispensable. Il n’est possible d’avancer tout seul que jusqu’à une certaine limite. A un moment ou à un autre, on a besoin de conseils. Un guide, un ami spirituel, nous donnera les instructions nécessaires pour dépasser les pièges que nous tend l’ego. Le guide sera plus subtil et plus habile que l’ego. Il est nécessaire qu’il soit qualifié. On ne choisit pas un guide comme cela, il s’agit de l’observer pour savoir qui il est. Quand on est sûr de sa personne, on peut alors établir une relation qui avec le temps deviendra de plus en plus profonde. Le but ultime est de reconnaître le guide intérieur, la nature de l’esprit, la sagesse présente en chacun.

La seconde condition est la nécessité d’une discipline sur le chemin. Sans discipline, on ne peut actualiser ce potentiel, cette sagesse. Comprenons bien ce mot de discipline. Il ne s’agit pas d’une série de règles. Discipline en tibétain se dit tsultrim, ce qui signifie la règle de la réalité. Si l’on veut récolter de l’orge, on plante de l’orge, si l’on veut récolter du blé, on plante du blé et si l’on veut réaliser l’éveil, on plante les graines de l’éveil. Pratiquer la discipline signifie rassembler les circonstances nous permettant de prendre la direction que l’on a choisie, c’est-à-dire la vigilance et la détente, ce qui représente une discipline formelle. Il y a aussi une discipline moins formelle fondée sur la compassion, sur le souhait d’accomplir un chemin pour les autres et pas seulement pour soi-même. Même si l’on n’a pas encore les moyens de la vivre complètement, définir la motivation juste dès le début du chemin lui donnera sa véritable dimension.