La pratique méditative

Prérequis

La méditation est un entrainement de l’esprit dont le but est de rester concentré sans être distrait par les pensées. L’esprit est constamment traversé par des mouvements émotionnels et conceptuels. A peine sommes-nous assis que des pensées liées au passé ou au futur nous assaillent. L’esprit vagabonde ainsi au gré de ce flot incessant. La méditation ne consiste pas à stopper les pensées (ce n’est pas envisageable), mais à ne pas être perturbé par ces mouvements afin de demeurer en l’état naturel de l’esprit. Cet entraînement permet d’acquérir une nouvelle habitude : demeurer, sans distraction, en l’esprit lui-même.

Pour que la pratique méditative, telle qu’elle est envisagée dans le contexte bouddhique, porte ses fruits, plusieurs conditions nécessitent d’être réunies afin d’obtenir un résultat plus profond qu’une simple détente du corps et de l’esprit. La première consiste à connaître le fonctionnement de notre esprit. Pour que la méditation soit efficace, il est important de se familiariser avec ce processus et ses rouages les plus subtils sans s’en tenir à un entendement superficiel.

Grâce à une claire compréhension de notre fonctionnement, les mécanismes de notre mal-être s’éclairent aussi en lien avec la notion de karma. Nous nous apercevons que nous n’avons pas l’exclusivité de ce mal-être, il est le lot de tout le monde. Les aspects de bienveillance et de compassion entrent alors en jeu. Ces différents points ne doivent pas être envisagés comme des thèmes distincts, au contraire, c’est en les associant qu’une compréhension plus globale peut émerger. Ces éléments peuvent couler de source et les appréhender de façon superficielle reste facile. Cependant, pousser l’analyse plus avant fait surgir des questions et remet en cause nos opinions bien arrêtés sur les choses. Nous commençons alors à douter de notre compréhension initiale.

Garder une souplesse d’esprit est capital pour ne pas rester campé sur nos positions. Etant doués d’intelligence, il est évident que nous acquérons tous un premier degré de compréhension, il s’agit cependant de ne pas rester bloqué à ce niveau, mais d’évoluer vers un entendement plus subtil grâce à une observation plus fine. Des questions s’élèvent alors et les choses se compliquent, en quelque sorte. En mettant en jeu nos opinions, des doutes apparaissent en effet. Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit du processus naturel d’évolution vers une compréhension plus profonde. Un effort est donc requis pour dissiper nos hésitations en nous référant aux enseignements plus complets sur caractère transitoire des phénomènes, le karma, le fonctionnement de l’esprit ordinaire, etc. En combinant cette analyse à la pratique méditative, nous parvenons à clarifier les incertitudes et appréhendons les choses selon une nouvelle perspective. La compréhension qui point se fonde alors sur une expérience différente. En effet, grâce à la méditation, l’esprit gagne en clarté ; en d’autres termes il est capable de demeurer dans un état lucide dépourvu de distractions. Si nous nous familiarisons avec cette lucidité, notre perception devient vraie, car elle est débarrassée de ses parasites émotionnels et de ses jugements.

Si la méditation intervient sur la base d’une compréhension, même grossière, de notre fonctionnement, elle agit comme le liquide révélateur d’un bain photographique. Grâce à la clarté qu’elle permet de développer, nous appréhendons ce fonctionnement de manière plus précise et pertinente. Méditer signifie se familiariser avec notre clarté d’esprit innée. Des conditions adventices nous distraient de cet état naturel et nous glissons dans l’illusion et l’ignorance sans même nous en rendre compte.

L’illusion et l’ignorance ne sont que notre propre perception colorée par l’attachement et les autres mouvements émotionnels. Leur force emporte l’esprit et le fait dévier de sa nature claire. Demeurer dans cette dimension de clarté conduit à ne plus dépendre de cette influence, tout en étant conscient de la présence de l’attachement. Nous ne sommes pas débarrassés des obscurcissements, mais nous parvenons à voir le mouvement émotionnel et le processus qu’il déclenche. L’attachement en tant que tel n’a rien de néfaste, l’important réside dans la façon de penser qui en découle et dans les actes accomplis qui mettent alors en mouvement les mécanismes interdépendants autour de cette influence première. Une réelle compréhension de cela éradique toute confusion et signifie demeurer en la clarté. Nous nous libérons de l’emprise de ce mouvement émotionnel, tout en prenant conscience que l’un ou l’autre état n’est rien d’autre que notre propre esprit.

Notre état naturel

La première chose, lorsque l’on médite, est de savoir qui médite. Je médite donc, mais à quoi ressemble ce « je «, ce « soi « ? Est-ce uniquement notre corps qui prend une posture précise ? La position du corps n’est qu’un facteur et ne constitue pas l’essence de la méditation. C’est donc l’esprit qui médite. Alors que le corps est la réunion d’éléments physiques tangibles, l’esprit, lui, n’a pas de forme perceptible : il est, par nature, l’union de la clarté et de la vacuité.

Il est facile de constater que les mouvements émotionnels et conceptuels qui s’élèvent en nous se forment et se transforment en fonction des circonstances et des conditions en présence. Ces mouvements sont donc conditionnés par un ensemble de facteurs en perpétuel changement. Ils ne peuvent donc prétendre être l’état naturel, véritable et stable de l’esprit. Si l’esprit n’offre aucune forme ni matière perceptible, il n’est pas non plus un néant : quelque chose est bien présent. En effet, nous éprouvons tous ce sentiment que nous sommes « nous-mêmes « à l’intérieur d’une enveloppe éphémère composée que nous nommons corps. Nous avons la capacité de percevoir, de ressentir, de connaître, sans pour autant pouvoir représenter ce qui perçoit, ressent ou connaît.

L’esprit, en son état naturel, est clarté et vacuité. Le terme clarté signifie « sans confusion et de façon exacte «. Le mot « vacuité « ne désigne pas un vide, mais renvoie à une présence sans représentation : une qualité innée de compassion, aussi appelée nature de Bouddha. Si nous parvenons à dissiper la confusion qui cerne l’esprit, nous pouvons alors demeurer en sa nature essentielle. La clarté permet de prendre conscience des causes de notre confusion : nous comprenons précisément que l’esprit fait fausse route au lieu de demeurer en sa nature. À la place, il saisit certains mouvements déclenchés par des facteurs internes ou externes à lui-même. Ces mouvements, empreints d’attachement, de rejet, de jugement, d’ignorance… causent des perturbations et nous coupent de nous-mêmes. L’esprit engendre en fait sa propre confusion. Le comprendre permet de dissiper beaucoup de difficultés et ouvre un nouvel espace. Nous ne subissons plus autant nos émotions et parvenons à garder une distance avec nos idées et nos ressentis. En nous familiarisant avec cette qualité de clarté, nous nous apercevons que l’esprit est plus « frais «, moins encombré de mouvements inutiles, nous devenons, au fur et à mesure, capables de retourner à son état originel. C’est tout le propos de la méditation et contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas de ralentir, mais de clarifier.

Selon le Bouddha, l’esprit de tous les Etres sensibles est identiquement clarté et vacuité. En d’autres termes, nous avons la possibilité d’agir sur notre condition présente et d’évoluer vers l’Eveil. Nous sommes tous dotés de qualités identiques à celles d’un bouddha, elles sont pour l’instant obscurcies. Pourquoi ne demeurons-nous pas simplement en cet état ? Parce que l’esprit se leurre.

A cause d’une circonstance (intérieure et/ou extérieure), nous saisissons un ressenti et nous nous engouffrons à sa suite, nous perdons alors toute lucidité et clarté. Cet obscurcissement fait boule de neige et s’agglomère à d’autres pour finir par produire une profonde confusion et des illusions bien ancrées. L’esprit est convaincu de la réalité et de la véracité de ses propres perceptions biaisées qui influencent nos décisions et nos actes.

La compréhension de ce processus est capitale car nul autre que nous ne sait ce qui se passe dans notre propre esprit et ne peut y remédier. En avoir une connaissance intellectuelle est un point de départ, mais il ne faut pas s’en tenir à ce niveau, sinon nous ne pouvons pas l’utiliser concrètement. C’est la méditation qui permet d’intégrer profondément cette compréhension et qui est vectrice d’évolution. À force d’entraînement, tout le monde peut revenir aux qualités originelles de son esprit. En demeurant dans ces qualités de clarté et de vacuité, de discernement et de compassion, nous ne nous engageons pas de la même façon dans nos différentes perceptions et nous ne nous laissons plus influencer.

Comprendre que notre propre essence est cette nature de bouddha et demeurer dans cette dimension n’est pas facile de prime abord. Nos idées et opinions entravent souvent notre compréhension. À l’image de la recherche scientifique, il s’agit d’un processus de découverte méthodique où rien n’est laissé au hasard, mais vérifié et éprouvé. De la même façon, il est donc nécessaire d’observer et d’analyser ce qui se passe au niveau de l’esprit. Au début, tout est assez embrouillé, ce qui est normal, la clarté et le discernement s’acquièrent graduellement et sans pression. Au fur et à mesure de la progression, nous acquerrons la certitude que l’esprit se berce lui-même d’illusions et se laisse détourner de sa sagesse pour choisir la confusion.

Mener cette introspection nous rapproche d’un état libre de toute confusion. Les Etres parvenus au terme de leur entraînement disposent d’un état d’esprit beaucoup plus équilibré et apaisé. Grâce à cela, ces grands boddhisattvas – qui peuvent être des personnes sur d’autres chemins spirituels comme les saints – ont développé des qualités supérieures à la norme humaine. Même s’il est extraordinaire, ce résultat est pourtant à la portée de chacun car tout le monde peut embrasser ce chemin. Le maître Gampopa était un médecin ordinaire, un homme marié qui avait des enfants. Lorsqu’il a commencé à pratiquer la méditation, après le décès de sa femme, il avait plus de quarante ans. Il est devenu un être extraordinaire et un enseignant hors norme dont nous suivons aujourd’hui encore les instructions. Il n’y a pas de conditions restrictives à la pratique méditative, elle s’adresse à tout le monde, même si la nouveauté peut être source de difficultés, une régularité de pratique en viendra aisément à bout. Le résultat dépend de la bonne mise en œuvre. Si le chemin est suivi de façon appropriée, il est certain que nous obtiendrons le résultat souhaité. Il suffit d’observer les méthodes proposées. L’une d’entre elles est la méditation.

La méditation prépare et entraîne notre esprit à cette observation. Nous pouvons demeurer à un niveau théorique et cheminer intuitivement au gré de nos propres idées ; atteindre un résultat réellement effectif restera incertain, hasardeux et très long. Cela reviendrait à chercher le traitement curatif d’une maladie sans aucune connaissance médicale préalable. La méthode de la méditation soutient toute la démarche. En habituant l’esprit à cette réflexivité, le méditant parvient à identifier le processus émotionnel et conceptuel de plus en plus précisément. Il apparaît alors clairement que si ces mouvements sont issus de l’esprit, ils n’en constituent pas l’essence véritable. En effet, ces mouvements émergent et se dissipent, ils varient sans cesse. Soumis à de multiples causes et conditions, ils ne constituent pas un fondement stable or tout le propos est de revenir à la nature essentielle de l’esprit, à une stabilité. Cela fait référence à sa dimension de clarté et de compassion. Il s’agit de demeurer dans cet état, l’espace d’un instant d’abord, puis de prolonger cette durée au maximum.

Comment méditer ?

Vous pouvez commencer par vous asseoir dans un lieu tranquille, simplement. Pour débuter, un environnement calme est plus propice pour poser l’esprit. Ensuite, vous suivez une méthode de méditation. Deux options de pratique méditative sont envisageables : la méditation de la quiétude mentale d’une part et la pratique méditative liée aux grands bodhisattvas d’autre part. Ces possibilités, qui aboutissent au même résultat, constituent deux styles de pratiques différents. Pour certaines personnes, il est plus naturel de se tourner vers une méditation plus dépouillée, dénuée de visualisations complexes et de récitations, alors que d’autres s’avèrent plus enclines à utiliser divers supports (visualisations, récitations de prières ou de mantras et d’autres aspects rituels). Le choix de l’une ou l’autre option est personnel. Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas là d’une adaptation au monde occidental, mais d’alternatives qui existent traditionnellement au sein de la lignée Karma Kagyü du bouddhisme tibétain.

Quelle que soit la méthode choisie, la méditation commence par une posture adéquate. Shamar Rinpoché (1952-2014) l’explique en ces termes :

« Lorsque nous méditons, nous devons nous asseoir le dos droit. Si nous sommes assis sur une chaise, les pieds doivent toucher le sol et être parallèles. Si nous sommes assis par terre, les jambes peuvent être complètement repliées, dans la position complète du lotus, ou partiellement croisées, en tailleur, la jambe droite vers l’extérieur, et la jambe gauche à l’intérieur. Les personnes ayant de longues jambes s’assoient en général sur un coussin plus haut, mais la hauteur de celui-ci dépend en fait des proportions du corps. L’important est que notre colonne vertébrale soit complètement droite. L’estomac est légèrement ramené à l’intérieur tandis que l’abdomen se positionne très légèrement vers l’avant pour un bon équilibre. Cela maintient la partie centrale du corps très droite. Pour que la partie centrale du torse soit encore plus droite, les épaules doivent être au même niveau et droites.

Les mains peuvent être placées dans la posture de méditation, c’est-à-dire paumes tournées vers le haut sur les talons (si nous sommes assis dans la position complète du lotus) ou posées dans le giron, quelques doigts au-dessous du nombril, avec la main droite sur la gauche. Cette position favorise encore davantage une colonne vertébrale bien verticale et droite. Autre possibilité, nous pouvons poser les mains sur les cuisses, paumes tournées vers le bas, les doigts dirigés vers les genoux en veillant à garder les épaules droites.

La nuque doit être légèrement courbée de façon à ce que le menton soit un peu rentré en direction de la cage thoracique. Les yeux sont à demi ouverts, regardant en face, légèrement vers le bas. La bouche ne doit être ni grande ouverte ni solidement fermée. Les lèvres sont détendues, dans une position naturelle. La respiration s’effectue principalement par le nez «.

Cette posture favorise l’état méditatif, mais s’il n’est pas possible de l’adopter, cela ne signifie pas que vous ne pouvez pas méditer car l’élément principal reste l’esprit. La posture n’est pas une règle, c’est un moyen pour faciliter la détente du corps et de l’esprit sans céder à la torpeur.

Abordons en premier lieu la méditation de la quiétude mentale. Celle-ci est état d’esprit apaisé, en d’autres termes, sans distractions. Les distractions ne sont pas nécessairement fortes ou violentes, elles peuvent tout à fait être subtiles et bénignes. Peu importe leur intensité, elles ont toutes en commun de créer une perturbation, c’est-à-dire une interruption, dans l’esprit. Ces distractions sont simplement nos propres pensées.

La méditation de la quiétude mentale consiste donc à ne pas errer au gré des pensées qui s’élèvent, mais à prendre conscience de leur émergence et à les laisser s’évanouir sans les suivre. Avec l’aide d’un support, le méditant s’entraîne à développer une qualité d’attention et de lucidité. Il essais d’être attentif à ce que l’esprit reste concentré sur son support et lucide quant au fait de reconnaître l’émergence d’une pensée pour revenir sur le point de focalisation au plus vite. Différents types de support existent, le plus commun est la respiration. Nous posons simplement notre esprit sur le va-et-vient naturel de la respiration. Il est possible de compter les cycles respiratoires (trois, sept ou vingt-et-une expirations et inspirations) en essayant de ne pas être distrait de ce compte lorsqu’un concept ou une idée émerge. Si le compte est perdu, il suffit de recommencer.

Il est aussi possible d’utiliser un support extérieur, comme un objet (un grain de riz ou un caillou) sur lequel nous posons, sans tension, le regard. La procédure est similaire : lorsqu’une pensée s’élève, nous la reconnaissons au plus tôt et revenons sur notre point de focalisation. Nous pouvons aussi utiliser un support « intérieur « en nous focalisant sur la présence du Bouddha. Cette dernière option requiert des explications précises que je recommande de rechercher auprès d’un enseignant qualifié.

Il faut faire preuve de patience et ne pas se décourager car la méditation va à l’encontre des habitudes de l’esprit qui cherche toujours à se distraire ou à se satisfaire. Pour qu’elle porte ses fruits, cette méthode requiert des efforts et une pratique régulière. Au début, nous n’arrivons souvent pas à compter au-delà de deux cycles respiratoires ! Nous sommes souvent tendus sur le résultat à obtenir. Il est donc important de préciser que le point essentiel réside dans le processus. Le terme « méditer «, en tibétain signifie se familiariser, s’habituer. Il ne s’agit donc pas de se mettre sous pression ni de se forcer, mais de commencer par de courtes sessions de cinq minutes par exemple, entrecoupées de pauses. Au fur et à mesure de l’entraînement, nous augmentons la durée de méditation ou le nombre de respirations à compter.

L’esprit se libère ainsi peu à peu de l’encombrement de ses pensées. Par cet exercice, nous visons à demeurer dans la clarté et non dans la confusion, ce qui signifie ne pas laisser l’esprit être interrompu et perturbé par les mouvements qui le traversent. Nous ne pouvons pas empêcher les pensées d’émerger, elles s’élèvent constamment et naturellement. En fait, elles ne constituent pas le problème en tant que tel, c’est leur enchaînement et ce que nous en faisons qui importent, car souvent elles nous emportent et nous font perdre notre présence. Cette succession instantanée d’idées, de concepts et de ressentis occupe tout l’esprit. La méthode de la méditation permet de retrouver espace et clarté.

La seconde option de pratique méditative utilise le support de grands bodhisattvas à travers des visualisations, des récitations de mantras ou de prières. Ces bodhisattvas personnalisent des qualités éveillées : la compassion pour Avalokiteshvara, la sagesse pour Manjushri, la libération pour Tara etc. De nouveau, le choix s’effectue en fonction d’une affinité personnelle.

Les méthodes dites « de visualisation « et de récitations ainsi que le procédé de pratique spécifique à chacune permettent d’activer un lien avec ces grands Etres. Le terme « visualiser « est souvent compris comme « imaginer une forme « or il n’est pas question d’un exercice de projection mentale ou artistique, auquel cas n’importe quel objet pourrait être imaginé. Nous parlons ici de la présence des bodhisattvas, ce qui signifie une apparence précise, bien que non substantielle, qui est la manifestation de qualités. Le fonctionnement de ce type de pratiques peut être comparé à l’énergie motrice : l’énergie est présente partout autour de nous, mais pour la capter et l’utiliser, nous avons besoin de mettre certains mécanismes en place.

Le but est de créer une connexion – aussi appelée bénédiction – qui enrichit notre pratique et nous permet d’acquérir une meilleure compréhension de ce qu’est l’esprit. Il en résulte une certaine stabilité. Cette pratique méditative conduit, à terme, à développer les mêmes qualités que le bodhisattva auquel on se relie. Dans un premier temps, le lien créé est quelque peu artificiel, mais au fur et à mesure de la progression, il s’actualise véritablement parce qu’il s’agit des souhaits mêmes de ces grands bodhisattvas. La bénédiction peut être comparée au soleil dont la chaleur et la lumière permettent la maturation des plantes. En se reliant à un bodhisattva, par l’intermédiaire d’une pratique méditative précise, sa bénédiction nous imprègne et participe à faire mûrir une certaine clarté et des qualités ‘de compassion, de sagesse etc.) qui deviennent naturelles. Une application est requise pour que cette évolution survienne, sinon rien ne se développera, à l’image d’une graine semée dans du béton. En effet, le germe de la bénédiction sera présent en nous, mais il ne sera pas actif, et rien n’évoluera au niveau de l’esprit. Il ne s’agit pas d’un procédé magique, mais d’un processus de mûrissement requérant la rencontre de plusieurs facteurs.

En se concentrant sur la présence d’un grand bodhisattva, l’esprit active un lien qui a un effet sur ses habitudes et ses concepts ordinaires. Le pratiquant appréhende donc plus précisément son fonctionnement et développe ses capacités. Ainsi son esprit est moins soumis à l’influence des distractions émotionnelles et conceptuelles, il gagne en discernement et embrasse alors naturellement la direction du bodhisattva, c’est-à-dire celle de l’Eveil.

Dans un cas comme dans l’autre, la régularité est une condition sine qua non du succès de la pratique méditative. Comme pour tous sports ou instruments de musique, le résultat dépend de la qualité et de la régularité d’entraînement. Si celui-ci est régulier, il génère une habitude. Une fois le réflexe acquis, il est plus facile de continuer sur cette lancée. En effet il ne s’agit pas de s’arrêter au premier résultat obtenu, mais de poursuivre jusqu’à parvenir à notre véritable potentiel originel. Ainsi, sans forcer les choses, il faut tout de même fournir des efforts car c’est par l’entraînement que l’esprit gagne toujours davantage de clarté.

Les résultats

Le résultat de la pratique méditative est conforme à notre intention de départ : le but que l’on se fixe. Revenons au Bouddha Shakyamuni. Pourquoi a-t-il médité ? Le Bouddha est né prince du clan des Shakya. Il excellait dans tous les domaines de connaissance mondaine (philosophie, musique, arts, sports etc.). Malgré sa position royale qui satisfaisait tous ses besoins matériels et intellectuels, quelque chose lui manquait. Un jour, il a réalisé le mal-être des Etres sensibles en découvrant la maladie la vieillesse et la mort. Il n’a pu que constater son impuissance, malgré ses richesses et ses connaissances, face à ce mal-être auquel personne n’échappe. Cette prise de conscience est devenue le moteur de sa quête : trouver un remède définitif à cette situation. Après divers essais spirituels, infructueux, le jeune Shakyamuni a médité. Une compréhension des causes de ce mal-être a émergé grâce à sa méditation. Il l’a ensuite cultivé jusqu’à atteindre le plein et parfait Eveil.

Dans le bouddhisme, la pratique méditative a un but précis : gagner en clarté et en lucidité afin d’appréhender avec plus de justesse ce que nous sommes ainsi que le monde qui nous entoure, dans le but de développer des qualités comme le discernement, la bienveillance et la compassion. Nous nous libérons ainsi nous-mêmes, mais nous devenons également plus à même d’aider les autres.

La pratique peut apporter deux types de résultats liés à notre motivation : une libération absolue de tout mal-être ou un allègement partiel de la souffrance qui facilite notre existence quotidienne.

Observons le premier type de résultat : une libération définitive du mal-être. Dans ce cas, la pratique méditative doit être accompagnée de l’étude des enseignements. La méditation permet alors d’intégrer plus profondément la compréhension intellectuelle première. Les enseignements écoutés ont un impact réel et naturel sur notre vie quotidienne (nos actes, nos choix, nos paroles etc.). La combinaison de l’apprentissage des enseignements et de la méditation concourt à développer nos capacités. Un esprit clair comprend davantage, par conséquent, nous agissons et communiquons mieux aussi. D’autre part, la clarté signifie également moins de perturbations et de distractions et donc plus d’espace pour soi-même, mais surtout pour les autres.

La pratique méditative consiste à faire l’expérience d’un processus. Il est important d’être guidé et de parler avec un enseignant qualifié qui pourra répondre aux questions qui ne manqueront pas d’être soulevées. Si elle est pratiquée avec rigueur, la méditation conduit à une expérience personnelle et individuelle des fonctionnements et de la nature de notre esprit. Les mouvements émotionnels et conceptuels sont alors directement reconnus. Il ne s’agit plus d’une belle histoire qu’une tierce personne nous raconte ou d’une opinion à laquelle nous adhérons. Nous en réalisons le sens. Les causes de ces mouvements sont clairement identifiées, nous pouvons alors les modifier pour sortir de la confusion. L’important est de créer une habitude de pratique, ainsi, au fur et à mesure de l’entraînement, nous parvenons à demeurer plus longtemps dans cette dimension de clarté. S’i ne s’agit pas encore de l’Eveil, l’esprit parvient cependant à s’approcher de sa nature nue, sans fabrication ni artifice. Au terme de ce processus, il est possible de devenir Eveillé, à l’image des pratiquants au temps du Bouddha. Il s’agit alors du résultat absolu.

Les émotions n’obscurcissent plus l’esprit d’un bodhisattva. Cela ne signifie pas qu’elles ont été éradiquées, les émotions font partie intégrante de notre fonctionnement humain ; sans ressenti, sensation ni émotion, nous serions des choses, des objets. Ces mouvements restent donc présents dans l’esprit, mais ils n’induisent plus de jugements néfastes. La colère ne sera plus porteuse de mal-être et le désir n’offrira plus de joie éphémère. Cela ne signifie pas pour autant que nous nous abîmons dans une dimension fade et sans saveur, au contraire, nous jouissons d’un état agréable, stable, sans complications ni perturbations. La lucidité acquise nous affranchit des manipulations émotionnelles et conceptuelles. Ces mouvements sont immédiatement reconnus et naturellement désamorcés. Les autres (famille, amis, ennemis, collègues etc.) ne sont donc plus identifiés comme la cause de nos problèmes, ils deviennent, au contraire, les objets de notre compassion. Nous comprenons en effet que nous sommes tous soumis au même fonctionnement. La compassion qui naît de cet état originel est alors autant naturelle que sans limites.

Une autre forme de résultat, plus relatif, peut aussi être obtenu de la pratique méditative. En acquérant un repère plus précis et sincère sur le fonctionnement de notre esprit, notre vision des autres s’adoucit : leurs réactions sont, comme les nôtres, conditionnées par leurs états d’âme, nous devenons alors plus patients à leur égard et portons moins de jugements. La clarté et la stabilité développées dans la méditation influencent notre façon d’être et permettent d’agir, non plus en fonction du diktat de notre ego, mais de façon plus propice à la situation (tant au niveau de la communication que de l’action) ce qui crée une meilleure harmonie générale.

La vie de famille est un savoureux cocktail d’amour, de colères, de confrontations. La pratique méditative contribue à améliorer nos rapports et à apaiser les conflits. Il en va de même dans le milieu professionnel et, en général, avec tous les autres êtres humains. Lorsque des difficultés ou des situations déplaisantes surgissent, nous avons moins peur, l’esprit est moins agité, notre qualité de présence est alors différente. Nous communiquons donc mieux et sommes un meilleur soutien pour les autres.

D’autre part, le degré de clarté obtenu s’accompagne d’une meilleure confiance en soi-même. Nous nous rendons compte que nous pouvons mieux gérer les circonstances ou les situations émotionnelles difficiles que nous rencontrons. En effet, nous appréhendons les problèmes avec plus de précision et une plus fine analyse. Le discernement issu de la méditation permet d’apporter plus facilement des réponses aux questions et aux difficultés. Comme nous le voyons ici, la méditation n’aura pas pour effet d’éradiquer les situations désagréables auxquelles nous sommes confrontés, en revanche, elle permet de développer des qualités pour y faire face plus aisément, notamment grâce à une confiance en soi stable et bien ancrée qui n’est pas égoïste. Les décisions prises sont réfléchies, moins impulsives, ce qui réduit les tensions. Ces résultats constituent des progrès perceptibles dans la pratique et deviennent de véritables encouragements à continuer sur le chemin.

Une ouverture à l’autre prend alors place, il en découle moins d’agressivité de notre part et davantage de tolérance. Nous souhaitons toujours, de façon inconsciente, demeurer dans notre zone de confort. Si nous percevons un manque de respect, un mécontentement s’élève immédiatement en nous. La méditation agit sur ce ressenti qui cède le pas à une autre manière d’envisager la situation. Il ne s’agit pas d’un sacrifice mais de changer son point de vue pour adopter celui de l’autre et essayer de comprendre. Un recul se crée par rapport aux situations qui dissipe les irritations. C’est ainsi que, progressivement, la qualité de nos relations avec notre famille, nos collègues et amis et n’importe quel être humain, se simplifie et se fluidifie au final. En étant moins focalisés sur nos ressentis personnels, nous devenons alors disponibles aux autres.

Ces résultats dits « relatifs « ne sont pas négligeables. Ainsi, toute personne qui n’a pas forcément l’Eveil comme un but, mais qui souhaite améliorer ses conditions de vie en suivant une pratique sérieuse peut alors retirer de grands bienfaits de la méditation. Il est important de pratiquer en fonction de notre capacité et de notre habileté du moment, sans tomber dans un extrême ou l’autre. Par ailleurs, le résultat que l’on souhaite actualiser peut aussi évoluer au fil du chemin et passer du relatif à l’absolu.

À ce stade, il me semble important de préciser que les expériences issues de la pratique méditative ont peu de choses en commun avec des visions fantasmagoriques, des jeux de lumière divine ou autres miracles. Le quasi imperceptible changement de nos habitudes constitue le véritable résultat : nous mettons naturellement en œuvre les causes d’un bonheur durable et abandonnons, sans rien forcer, les causes qui conduisent au mal-être. Seule la répétition régulière de l’exercice aboutit à cette sincérité.

Pour accompagner la méditation

Une bonne préparation en amont est requise pour les personnes qui souhaitent méditer afin de se débarrasser définitivement du mal-être et progresser vers l’Eveil avec la motivation du bodhisattva. Il s’agit de l’apprentissage des enseignements et de leur mise en œuvre. C’est ce qui porte la méditation vers un autre niveau. La régularité de la pratique constitue aussi un ingrédient essentiel.

Un texte est particulièrement utile, il s’agit du Placement de l’attention au plus près de quatre objets, souvent intitulé Les Quatre Placements de l’attention. Directement issu des soutras, cet enseignement invite à investiguer la nature du corps physique, des sensations, de l’esprit et des phénomènes. Il décrit la réalité telle qu’elle est. Une compréhension de ce sujet change notre façon de nous impliquer dans la vie : nous nous abandonnons à un mouvement naturel de détachement. Toutes les situations rencontrées sont alors acceptées, telles qu’elles sont, que l’on vive dans un magnifique paysage verdoyant un jour et que l’on se retrouve soudainement à habiter dans un lieu aride, de rocs et de pierres, n’a plus d’incidence car nous ne sommes plus aussi fortement attachés à l’aspect physique. L’esprit demeure proche de sa nature.

Le détachement ne doit pas être compris comme un rejet mais comme une connaissance de la réalité, ce qui oriente vers l’essentiel.

Ce genre d’enseignements nourrit donc notre pratique d’une part, mais la méditation elle-même affine notre compréhension première également, à l’image de vases communicants. Associer apprentissage des enseignements et méditation participe au mûrissement des discernements issus de l’écoute, de la réflexion et de la pratique. C’est ainsi que nous nous approchons de notre plein potentiel pour le dévoiler, à l’image des grands bodhisattvas.

Et la compassion dans tout ça ?

Gagner en clarté d’esprit, c’est-à-dire en intelligence, n’est pas gage de bienfaits. En effet, les hommes qui causent le plus de dégâts dans le monde sont souvent très intelligents. Le résultat de la méditation, notamment de la quiétude mentale, peut donc être utilisé à des fins néfastes. Aussi un élément est crucial pour s’assurer d’emprunter la bonne direction : la compassion. Elle est en effet le gouvernail qui oriente la clarté d’esprit dans un sens bénéfique.

Si nous gardons notre esprit du jeu égoïste des émotions, nous nous préoccupons davantage des autres et moins de nous-mêmes. Nous agissons alors de manière plus bénéfique (ce qui aura aussi une influence positive sur nos conditions karmiques). La bienveillance et la compassion nous rapprochent des autres et nous éloignent de toute rigidité. Elles jouent le rôle des racines de l’arbre : il peut pousser très haut, mais si ses racines ne sont pas bien ancrées, il peut s’effondrer facilement ; il en va de même avec le résultat de la pratique méditative. Si la base n’est pas solide, il ne durera pas.

La compassion est, dans un premier temps, teintée de ressentis personnels et partiaux, mais elle devient progressivement authentique et égale envers tous.

Le but ultime de la pratique bouddhique est l’accomplissement de l’Eveil. S’il s’agit de la direction qui oriente notre pratique, atteindre cette ultime étape reste difficile, mais tout à fait envisageable. Quelques mois ou années de pratique ne suffiront pas, il faut compter plus de temps. D’autre part, une autre alternative de résultat est plus à notre portée : s’approcher de l’accomplissement de ces grands saints ou bodhisattvas.

Un véritable bodhisattva n’est plus prisonnier des différentes conditions de vie que tout un chacun rencontre. La seule difficulté qui fait obstacle à cette réalisation réside dans nos habitudes bien ancrées, qui empruntent une direction totalement opposée. La pratique méditative y remédie mais reste incomplète si nous n’incarnons pas la façon d’être et d’agir du bodhisattva.

Jigmé Rinpoché